Depuis sa creation en 1939 par Bill Finger et Bob Kane dans les pages de Detective Comics, Batman a connu de nombreuses adaptations cinématographiques. Débutant avec la série kitsch de 1969, avec Adam West et Burt Ward, en passant par les films Gothico Freak, de Tim Burton les délires haut en couleur de Joel Schumacher, le réalisme hard boiled de la trilogie Nolan et l’approche Dark comic book de Zack Snyder, on ne compte plus les itérations sur grand écran de l’homme chauve souris. Certains atteignant des niveaux incroyables tout en transcendant le matériel d’origine (The Dark Knight de Nolan). Alors que d’autres se rapprochent de l’indigestion abyssale – les frasques débilos-kitsch de Batman et Robin qui ont faillis avoir raison de la franchise avant la renaissance avec le Batman Begins de Nolan . The Batman est la première adaptation solo du personnage depuis la trilogie Nolan (ndlr : celui de Ben Affleck dans le Snyderverse fait plus office d’ensemble pour la Justice league que véritable adaptation solo). Le film est annoncé comme un ‘stand alone’ movie et ne fait pas partie d’un univers partagé. Réalisé par Matt Reeves, on voyait déjà la tournure qu’allait prendre ce Batman avec l’arrivée de Robert Pattinson (mis à part Twilight, le gars est un excellent acteur). Pour rappel, Matt Reeves est l’artisan derrière Cloverfield, deux des meilleurs films de la trilogie Planet of the Apes ou encore du remake sympathique qu’est Let the right One In. Ainsi, le réalisateur a une approche beaucoup plus sombre et psychologique du Dark Knight jamais exploité auparavant.

Batman et Catwoman
Noir c’est Noir
Disons le d’emblée, The Batman transcende tout ce qui a été fait auparavant dans l’univers de l’homme chauve-souris. Dès son introduction, le spectateur se retrouve témoin principal d’un meurtre violent perpétré par un personnage énigmatique qui se fait appeler le Riddler. Transition ensuite dans le ville de Gotham, gangrénée par la corruption et le crime. Cette déchéance se manifeste à travers un temps pluvieux et un environnement insalubre, qui s’associerait à Blade Runner ou Seven de David Fincher. Une voix off guide le spectacteur tel un film noir, le plongeant ainsi dans l’univers de cette nouvelle itération de Batman. Celle-ci sera différente de tout ce qui nous a été proposé avant. On comprend que Bruce Wayne sévit en tant que Batman depuis 2 ans et qu’il est toujours impregné par sa soif de vengeance, provoquée par la mort de ses parents. L’introduction au Dark Knight est d’une violence inouïe qui contraste avec tous les Batman qu’on a eu la chance de connaître jusqu’à présent. D’ailleurs, il fait même passer celui de Ben Affleck pour un enfant de choeur. L’ambiance lugubre se rapproche beaucoup de Polar Hardboiled ou du thriller limite horifique à la Saw.
Batman – Battinson
Pour ceux qui avaient encore des doutes sur le choix du casting de Pattinson, soyez rassurés ! Son Bruce Wayne est l’un des plus sombre et nihiliste qui nous a été de voir sur grand écran. Un mélange atypique entre Kurt Cobain et Eric Draven de The Crow, en passant par Dracula (non pas Twilight). On ressent sa douleur, son mal-être, sa colère à travers le jeu d’acteur de Pattinson. C’est un Batman debutant qui fait des erreurs, essaie de trouver ses appuis mais qui surtout exulte toute sa colère dans ses actions. Il se rapproche beaucoup plus d’un vilain que d’un veritable héros. Mais derrière toute cette rage, se cache quelqu’un qui veut trouver une solution pour débarasser sa ville du mal qui la ronge. Son impuissance se ressent car il arrive pas à gérer une situation qui échappe à son contrôle. L’arrivée du Riddler le pousse dans ses tranchements et il doit débloquer encore plus son esprit d’investigateur. Oui, pour la première fois, l’emphase est mis sur l’aspect enquêteur de Batman et pas juste celui de justicier. La transformation du personnage en tant que vengeur masqué au symbole de justice se ressent à travers tout le film. L’interprétation remarquable de Pattinson y est pour beaucoup et confirme qu’il n’a rien à envier à ses prédecesseurs. La comparaison n’a même pas lieu car il apporte quelque chose d’unique au personnage. Un gars meurtri qui fait face à ses demons, victime d’insécurité, impartial, violent mais qui trouve sa voie et accepte son statut de figure emblématique de Justicier tout en comprenant que la vengeance n’est pas la solution. Pour la première fois, l’emphase est bien mis sur Batman plutôt que Bruce Wayne car son véritable déguisement est bien celui de l’orphelin-aristo. La gestion du noir comme terrain de jeu pour le Dark Knight est encore plus palpante ici tout en lui donnant un cachet de créature de la nuit vampirique (Non pas Twilight).
Casting Parfait
Les personnages secondaires ne déméritent pas non plus. Zoé Kravitz, en tête de liste, assure en une jeune Selina Kyle. Sensuelle et dangereuse, elle excelle dans le rôle en y apportant une touche féminine. Bienvenue dans l’entrerprise ! Contrairement à Anne Hattaway dans Dark Knight Rises, elle fait partie intégrante de l’histoire. La relation qu’elle entretient avec Batman contribue à une des plus belles réussites du film. Pour les fans de comics, ce sont clairement des cases de Hush qui prennent vie. L’alchimie qui se dégage entre ses deux êtres torturés, au même but, les transforme en couple imparfait mais d’une sincérité renversante. Après la performance culte de Pfeiffer, Kravitz nous propose la meilleure incarnation du personnage à l’écran. Colin Farrell est méconnaissable en Pingouin et sa performance est à l’opposé de Danny De Vito dans Batman Returns. Ici le pingouin est un veritable gangster qui est prêt à tout pour arriver à ses fins. Il n’a pas encore atteint son statut de maître du crime mais on y perçoit des bribes de son avenir au fur et à mesure que l’histoire avance. Jeffrey Wright en Gordon joue juste et propose une vraie interaction avec Batman, encore plus que dans les autre films. Il n’a rien à envier à Gary Oldman (magistral dans la trilogie Nolan) et devient un veritable associé de l’homme chauve-souris dans sa lutte contre le crime. Même si perso, Micheal Caine restera mon Alfred préféré, Andy Serkis est émouvant dans le rôle du célèbre majordome (Je défie quiconque qui ne versera pas une larme lors d’une sequence émouvante et puissante entre lui et Bruce Wayne). Même s’il n’a pas beaucoup de temps de présence à l’écran, il assure dans toutes les scènes où il apparait. John Turturro en Falconi est le parfait exemple du contre-emploi pour l’acteur et confirme son énorme talent de caméléon. Maroni semble tout droit sorti d’une case de The Long Halloween, de Jeph Loeb, et son caractère attire le dégoût et la peur, tout en le rendant fascinant, est incroyablement restitué par Turturro. Et le meilleur pour la fin : Paul Dano en Riddler est tout simplement époustouflant. Tel le John Doe de Seven, qui joue à cache-cache en sémant des indices avec ses meurtres que ne renierai pas Jigsaw dans la saga Saw, il devient un personnage mystérieux (L’homme mystère quand même) et fascinant. Iconisé par ses temps d’apparition en ombre chinoise ( encore une fois, Seven est une influence majeure), il renvoie beaucoup à ce que Heath Ledger avait emmené avec son Joker : une légitimité et une personnalité à un personnage archi connu. La façon dont Reeves joue avec ce personnage est très ingénueux et le scénario est assez malin pour embriquer tout ce beau monde dans une cohérence rarement vu dans un film de ce genre.
Ambiance quand tu nous tiens
Au niveau de la technique, on saluera le travail de Greig Fraser, déjà responsable de Dune, sur la photographie. Le noir et le jaune sepia de Gotham sont beaux et organiques. The Batman nous donne une autre architecture pour son Gotham qui lorgne beaucoup du côté de la splendeur gothique d’un The Crow mélangé à l’ambiance crasseuse et pluvieuse de Seven. Visuellement, Gotham apparaît sous un nouveau jour et est ainsi personnifié. Le scenario de Matt Reeves, Mattson Tomlin et Peter Craig, propose une harmonie chirurgicale où toutes les intrigues proposées sont anchevétrées tel un puzzle qui se rassemble sous nos yeux en ne tombant jamais dans la surenchère. Même les scènes d’actions servent l’histoire et ne sont pas utilisées de manière abusive. Certains regretteront peut-être des sequences épiques de bataille (même si une séquence particulière en vaut carrément le detour) mais on va dire que Reeves n’est pas un Snyder côté séquences musclées. Il a toutefois le mérite de nous proposer autre chose que ce qu’on a l’habitude de voir. Mention spéciale aussi à la magnifique partition de Michael Giacchinno. Le gars nous propose des thèmes de toute beauté avec des envolées lyriques poétiques sans tomber dans la redondance.
Nouvelle référence
Pour conclure, The Batman éclate tous les espoirs qu’on avait en lui depuis le début. Un film d’une richesse et d’une puissance généreuse qui sur 3 heures arrive à raconter tout ce qu’il avait à dire. Il propose quelque chose de nouveau dans le genre et transcende son statut de film de super-héros pour nous offrir une oeuvre personnelle : un vrai film d’auteur, à la Fincher. L’univers de Batman est respecté avec des nuances bienvenues tout en proposant une profondeur à ses personages et les thèmes abordés dans son scenario intelligent. L’influence majeure de Reeves est la bd EGO de Darwin Cooke où la psyché de Batman est mise à l’épreuve. Le film propose un voyage psychologique sombre et violent mais jubilatoire. Après Joker de Todd Philips, le film de Matt Reeves démontre que ce genre de production peut atteindre des sommets s’il est traité avec respect. Décidémment un des sommets de 2022.
Note : 9/10
The Batman est actuellement en salle dans les cinémas Star.